Jazz, sou/R&B, funky groove

Assomption culturelle

Stay Tuned !
Dominique Fils-Aimé
Ensoul Records
Quatre étoiles

Après avoir imposé l’opus Nameless, puissante infusion de ses racines transplantées de force dans les Amériques, la Montréalaise Dominique Fils-Aimé dévoile le deuxième volet de sa trilogie inaugurée en janvier 2018.

Gorgé de jazz, soul/R&B, funky groove, gospel ou reggae, Stay Tuned! poursuit le récit de ses identités africaine, antillaise, nord-américaine, québécoise, montréalaise.

Il y est question de force au féminin, d’élévation, de loyauté, de rébellion, de droits civiques, d’amour, de passion. Dans le cas qui nous occupe, les dimensions explorées par l’artiste contribuent à en étoffer l’assomption culturelle, pour employer une expression contraire à celle qui s’est répandue comme une traînée de poudre depuis les événements que l’on sait.

Plusieurs voix traversent le chant de Dominique Fils-Aimé; viennent à l’esprit le voile mélodique de Sade Adu, le feu de Nina Simone, pour ne nommer que ces créatures complexes et… pour éviter les comparaisons directes. Car Dominique Fils-Aimé a bien assez de singularité en elle pour éviter les comparaisons directes.

Sur scène également, on a pu observer son unicité devant public, on a pu apprécier son goût, son sens du polissage sans négliger sa capacité d’aller droit au cœur. Manifestement dans le sillon afro-américain avec cette saveur haïtienne de la diaspora qui lui est propre, cet art magnétique peut désormais connaître un vaste rayonnement sans basculer dans quelque formatage.

Les référents sont clairs, pour ne pas dire limpides, la personnalité qui les harnache engendre cette qualité indicible, ce quelque chose que la plupart des propositions n’ont pas sur le territoire de la pop sophistiquée.

Autodidacte mais d’une grande curiosité intellectuelle, Dominique Fils-Aimé ne peut encore verser dans la grande complexité musicale. On sent néanmoins son intérêt pour ces formes techniquement plus élevées, ce qui explique les nombreux passages explicitement jazz.

Composé de 14 titres pour la plupart très courts et écrits en anglais (il est permis de souhaiter d’éventuels prolongements en français et en créole !), Stay Tuned! a été enregistré et mixé aux Studios Opus, sous la direction de Jacques Roy et la supervision de Daniel Lepage.

La chanteuse est ici entourée de musiciens accomplis, Jacques Roy à la basse, Salin Cheewapansri à la batterie, Elli Miller Maboungou aux percussions, Nathan Vanheuverzwijn aux claviers, Étienne Miousse à la guitare, Jean-Michel Frédéric au piano, Hichem Khalfa à la trompette et Kevin Annocque au didgeridoo.

Les prises de son et le mixage de cet enregistrement concourent à l’impact de ce deuxième album dosé avec soin. Les surimpressions vocales et l’accompagnement instrumental servent un répertoire superbement habité, assumé jusqu’au bout des ongles.

— Alain Brunet, La Presse

Pop indé

Éloge de la douceur

Outro
Emilie Kahn
Secret City Records
Trois étoiles et demie

L’intro s’appelait 10 000, parue en 2015 sous l’alias Emilie & Ogden, duo formé d’Emilie Kahn et d’une complice de près de 2 m, la harpe Ogden. La suite, Outro, se déploie sous le nom de baptême de la chanteuse, affirmation d’une démarche plus personnelle qui embrasse langoureusement la pop indé. Son instrument de prédilection l’accompagne toujours, mais il se mêle à des couches d’électro (Will You) et à une instrumentation plus assumée (Three), élaborée de concert avec Warren C. Spicer (Plants & Animals, Ludovic Alarie). Alors que son premier album plongeait au cœur d’une jeunesse tourmentée, Emilie Kahn, plus forte de quatre ans de scène, notamment au côté de Half Moon Run, pose désormais un regard éclairé et sans complaisance sur le passé : compétition féminine, passage à l’âge adulte, erreurs de jeunesse. La harpe reste ce point d’ancrage au fil de voyages éthérés, sublimés par la voix vaporeuse et sensuelle de la chanteuse.

— Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

Néo-classique

Classique néo-classique

Reverie
Flying Hórses
Bonsound
Quatre étoiles

Que cet album ait joué en boucle dans nos oreilles n’a rien à voir avec notre travail de critique. Si l’on peut camper la pianiste Jade Bergeron et son projet Flying Hórses dans la mouvance néo-classique, cimentée au Québec par Jean-Michel Blais et Alexandra Stréliski, la proposition ouvre ses bras au post-rock (bonjour Sigur Rós) et à une instrumentation enveloppante – boîte à musique et célesta vintage s’adjoignent des arrangements de corde. Sur Reverie, enregistré en quatre temps et lieux, dont l’Irlande, la multi-instrumentiste fournit une trame narrative mélancolique autour du mouvement, avec de nombreux jeux de miroirs (Awake/Asleep, Settled/Unsettled, etc.). C’est à l’auditeur de remplir les cases à la lueur de son vécu, de ses souvenirs, de sa sensibilité… Ainsi, l’ambiance métallique de Migration évoque chez nous un enfant migrant qui fuit sur la pointe des pieds, tandis que Fearless, inénarrable, nous laisse les yeux humides. Difficile, devant les images qui se bousculent et la nomenclature des titres, d’évacuer le contexte politique. Comme si Jade Bergeron voulait nous dire : là où s’érigeront les murs, il y aura toujours des chevaux volants.

— Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

Pop-rock alternatif

Curieux paysages

Première apparition
Laurence-Anne
Duprince
Trois étoiles et demie

Quoi d’autre qu’un petit solo de marimba pour ouvrir un album de pop exploratoire ? Bienvenue dans l’univers aussi riche qu’étrange de Laurence-Anne, auteure-compositrice-interprète que nous avons découverte en finale des Francouvertes 2017, en (fort bonne) compagnie de Lydia Képinski et Les Louanges, qui ont engendré certains des meilleurs albums de 2018. Moins médiatisée que ses éminents collègues, la chanteuse originaire de Kamouraska a bel et bien sa place dans cette cohorte d’exception, comme en font foi les neuf pièces de Première apparition, enregistrées en live en deux jours, avec entre autres le guitariste David Marchand (Mon doux saigneur) et l’ingénieur de son Jean-Bruno Pinard (Les Louanges, tiens donc). Lignes de basse envoûtantes (Instant zéro), guitares fuzz, batterie tempérée, ambiances synthétiques et voix d’outre-tombe (Dents de scie) : voilà un aperçu des paysages « prock-mystère/mini-rock » esquissés par Laurence-Anne. Seul hic : les mots se perdent parfois en chemin, ou bien nous arrivent en écho : « Un cœur atomique sur le compte à rebours, le temps est élastique quand on frôle ses contours, de retour à l’instant zéro. »

— Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

Dream pop, psychédélique

Montréal psychédélique

Beat My Distance
Anemone
Royal Mountain Records
Trois étoiles et demies

Tame Impala, King Gizzard & the Lizard Wizard, Earthless, Pigs X7, The Limiñanas, Khruangbin, tant d’autres groupes d’aujourd’hui dont le groupe montréalais Anemone s’inspirent de ces rythmes binaires et hypnotiques, de ces patterns mélodiques planants, de ces impros aériennes propices à la transe, de ces effets de distorsion légère et de réverbération, de ces usages de synthétiseurs analogiques, guitares et instruments exotiques – dont le sitar indien. Bref, de ces extrapolations sonores pigées fin 60, début 70. À l’époque, on attribuait ces choix d’interprétation à l’absorption de drogues psychédéliques, LSD-25, mescaline, champignon, peyotl… Aujourd’hui ? Ces musiques ne sont plus générées par des interprètes givrés (enfin… si peu), mais plutôt par des esthètes musiciens désireux de transcender ces acquis importants de la pop culture. En 2019, le psychédélisme pop d’Anemone n’est pas une duplication passéiste, ses interprètes sont pour la plupart techniquement supérieurs à leurs ancêtres fondateurs. Les référents n’en demeurent pas moins dominants, auxquels on ajoute des éléments de dream pop moins anciens. Les chansons de l’album Beat My Distance sont composées et écrites en anglais par Chloé Soldevila, soliste dont la voix ténue est magnifiée par le jeu d’excellents accompagnateurs, les principaux étant le batteur Miles Dupire-Gagnon, les guitaristes Gabriel Lambert et Zachary Irving. Vers le rayonnement de masse ? C’est ce qui se dessine peut-être à l’horizon pour ce groupe montréalais qui tourne partout dans le monde et qui fait l’objet d’un véritable engouement.

— Alain Brunet, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.